Je suis sur le point de quitter ce monde. Je ferme mes paupières comme si c'étaient les plus lourdes au monde. J'étais en entraînement intensif toute la journée et la fatigue se faisait plus que sentir. On devait frôler les onze heures du soir, mes colocs étaient parties boire un verre sans moi, bien trop fatiguée. J'étais sur le point d'entrer dans un état second, de tomber en plein rêve lorsque je sors de mon demi-sommeil en sursaut. Quelqu'un avait décidé de se faire une séance de Drum&Bass à fond les volumes et il m'en fallu peu pour déduire de quelle chambre le son venait. Je sors de mon lit bien difficilement, vêtue d'un large tee-shirt noir avec une tête de mort dessus et d'un boxer bleu turquoise j'ouvre la porte de ma chambre et me retrouve dans le couloir glacial de l'institut. Ce froid me fait plus de bien que de mal. Il me rappelle mon enfance. Je fais quelques pas et frappe d'un poing solide contre la porte voisine. J'attends sagement que quelqu'un m'ouvre et c'est Enaël qui s'y colle. Il affiche un grand sourire comme si de rien n'était. Je colle un poing sur le haut de sa poitrine gauche. « Vous n'avez pas l'impression de gêner des gens ? ». Je jette un coup d’œil dans la chambre et je me rend compte que ses deux camarades ne sont pas là. Mon regard lui lance des éclairs. « Tu cherches à éveiller de nouvelles capacités en réveillant les morts ? ».

Je pouffe de rire dans ma tête au surnom Ananas mais je refuse d'afficher un sourire. Je n'avais aucune envie de le rendre encore plus sûr de lui puis j'étais trop fatiguée pour pouvoir faire fonctionner mes muscles. Je soupire et ne prend pas vraiment la peine de répondre à sa question. Je rentre dans sa chambre comme si j'en avais le droit. Je me demandais comment ça se faisait qu'il était tout seul. Je souris en coin lorsqu'il baisse le volume, derrière son dos je tend les bras au ciel et murmure victoire. Je le regarde s'allonger sur son lit et me tendre les mains, je ne peux pas m'empêcher de sourire à sa proposition. C'était plus que tentant, j'ai toujours eu un faible pour lui, inexplicablement. On dit que les opposés s'attirent, je n'y avais jamais cru jusque là. Quand je le vois je me dis qu'on a rien à voir. Hyperactif et moulin à paroles, je n'avais jamais compris comment c'était possible d'être comme ça. Je craque et je m'étale contre lui. Je m'allonge et je ferme les yeux, la fatigue reprenait le dessus.

« Et puis d'abord t'es pas mon préféré. »

La tête reposait sur son torse, je me dis que si Clémentine entre dans la chambre on en avait pour des semaines de blagues salaces.

« Ils sont où les deux autres mousquetaires ? »

Tout le monde connait Enaël pour sa capacité à rire de tout et à profiter de la faiblesse des autres pour les emmerder à longueur de journée sur le sujet. Comme Jhené qui est peureuse de base et avec qui il s'amuse grâce à son pouvoir. Et puis il y a Anastasia. Il connait sa capacité, il pourrait aisément la charrier sur le sujet, mais il ne fait rien de tout ça, il n'y fait même pas attention et après tout peu importe si sa santé peut être mise en danger à cause des ondes radioactives. Il se refuse également à pleurer sur le sort d'Ana, il devine qu'elle culpabilise assez alors il n'accentue pas la chose et le sujet n'est jamais abordé entre eux. Ses pensées sont interrompues par cette dernière qui accepte son câlin, il se permet donc de passer une main dans son dos sans chercher à aller plus loin, pour une fois.

- Et puis d'abord t'es pas mon préféré.

Enaël hausse les épaules, par pure fierté puisque cette phrase résonne à présent dans sa tête et il se fait tout les scénarios possibles et imaginables en essayant de trouver le grand favori. Sa voix se veut inchangée, pourtant elle devient malgré lui un peu plus sèche.

- Ah bon ? C'est pas bien grave.. Qui est ton favori du coup ?

Une fois la question posée, il se détend pour offrir un nouveau sourire.

- Ils sont où les deux autres mousquetaires ?

L'espace de quelques instants, ses deux colocataires étaient partis de ses pensées, encore perturbée de la première réflexion d'Anas. Il dissipe une nouvelle fois ses pensées pour lui répondre le plus normalement possible.

- Ils sont allés chercher des provisions pour les soirées en ville, vu l'heure ils vont sûrement dormir au motel. Et toi tes colocataires hystériques, elles sont où ?

Il parle d'hystériques alors qu'au fond les deux colocataires de la chambre voisines sont beaucoup plus silencieuses qu'Enaël tout seul, Anas a eu une nouvelle preuve ce soir de son énergie. Pourtant à cet instant le gamin ferme les yeux sans retirer sa main du dos de la brune, espérant peut-être secrètement qu'elle capte sa proposition cachée puisque ses deux camarades ne dorment pas ici cette nuit.

J'ai l'impression d'avoir perdu. Je regrette presque d'avoir accepté son câlin. Je me retrouve dans les bras dans lesquels j'aime tant me retrouver. Je voudrais croire que j'y suis en sécurité alors que c'est totalement faux. Sa question me fait sourire. Je n'en savais strictement rien de qui était mon préféré. C'était plus histoire de le faire réagir que j'avais répondu ça. Je n'étais pas le genre de personne à classer ses amis ou relations.

« On va dire que t'es à ex æquo avec d'autres. »

Je souris en coin. Je pense que c'est inconscient mais je crois bien que j'essaie de le rendre jaloux. Même si cela semble impossible. Les deux autres partenaires de chambre sont en ville, hors de l'Institut. Je trouve ça très bizarre qu'Enaël se retrouve tout seul dans sa chambre, il avait certainement du prévoir un plan.

« J'ai bien du mal à croire qu'ils t'aient laissé tout seul. »

Je tape un coup sur ses côtes lorsqu'il me demande où sont mes colocataires.

« C'est celui qui dit qui l'est. Elles sont parties boire un verre en ville. Peut-être qu'elles vont se retrouver au motel avec les gars, qui sait. »

Je souris à l'idée que nos colocataires s'accouplent ensemble et j'ai bien du mal à me faire à cette idée. Un étrange silence s'installe dans la pièce. Je ne sais plus où me mettre. La situation devient étrange et j'ai presque envie de fuir. J'avais bien du mal à voir Enaël comme tous les autres garçons de l'école. Je n'avais pas l'impression de pouvoir coucher avec lui et l'ignorer le lendemain matin. Je n'avais aucune idée de quoi faire ou quoi dire. Je lui posais alors la première question qui me vint en tête.

« C'est quand la dernière fois que t'as dormi au motel toi ? »

L'hyperactivité d'Enaël disparait l'espace de quelques minutes, ce qui est plutôt surprenant venant de lui. Il aime les câlins, mais bien vite il se met à penser à autre chose et à bouger, pourvu qu'il ne reste pas planté au même endroit sans rien faire. La fatigue accentue sûrement le calme présent dans la pièce, aussi bien la sienne que celle d'Anastasia.

- On va dire que t'es à ex æquo avec d'autres.

Enaël en profite pour ouvrir les yeux à nouveau, après avoir lâché un léger grognement qui exprime toute la frustration qu'il tente de dissimuler malgré tout. Il n'a jamais apprécié d'être classé ou en compétition avec d'autres dont il ignore en plus l’existence et puis tout le monde connait son tempérament possessif, que ce soit avec des amis ou non.

- J'ai bien du mal à croire qu'ils t'aient laissé tout seul.

Cette fois c'est un rire qui s'échappe de ses lèvres, c'est vrai que c'est étonnant au premier abord mais il y a une raison à tout, surtout avec eux. Sa main libre vient se glisser contre sa propre nuque, lui donnant un faux air gêné alors que son sourire est amusé.

- On s'arrange toujours pour qu'il y ai quelqu'un dans la chambre quand les autres ne sont pas là, pour réceptionner les éventuelles personnes qui veulent venir squatter pour une soirée ou autre.

Ou autre oui, par exemple des filles venues pour Clément ou Jason mais il se retient bien de le dire devant elle même en étant certain qu'elle s'en doute, une fois qu'on les connait ce n'est pas difficile à deviner.

- C'est celui qui dit qui l'est. Elles sont parties boire un verre en ville. Peut-être qu'elles vont se retrouver au motel avec les gars, qui sait.

Au moins il est certain que ces colocataires seront en bonne compagnie ce soir. Un silence gênant s'installe, il tente alors de le briser en posant une question presque au hasard.

- T'es pas sortie avec elles toi ? C'est pas vraiment ton genre de refuser une soirée pourtant..

Tout de suite après lui, elle pose à son tour une question qui lui traverse l'esprit.

- C'est quand la dernière fois que t'as dormi au motel toi ?

La question le surprend, c'est certainement une question innocente posée comme n'importe quelle autre, mais il ne peut pas s'empêcher de chercher à comprendre le pourquoi du comment.

- On fait un tour chacun donc ça doit faire deux semaines.. Pourquoi ?