C'était de la folie de revenir ici après tout ce temps. Pourtant, je ne pouvais plus vivre sans savoir. Je devais voir le visage de ce petit garçon que j'ai laissé derrière moi il y a dix ans, voir à quoi il ressemble. J'avais besoin de savoir ce que je manquais en m'étant enfuie... Avant ça, je voulais juste apprendre à connaitre à nouveau les alentours. Au final, ça n'avait pas tellement changé après toutes ces années. C'était le même parc en tout cas. Rien de nouveau qui puisse me changer les idées, je ne pensais qu'à ce que j'avais pu louper de la vie de mon fils. Enfin, si je peux vraiment l'appeler comme ça... Je marche sans but, promène mon regard un peu partout. Ça ne se serait pas passé comme ça si j'avais pu être normale. Comme les autres. Quelque chose finit par attirer mon attention. Un petit garçon, mignon, une dizaine d'années sûrement. Mon coeur s'emballe. Et si? Je détaille le garçonnet, ressens du plus profond de mon être que je ne me trompe pas. C'était peut-être pas des conneries ce qu'on raconte sur l'instinct maternel... Ou peut-être que si, peut-être que je me faisais des idées. Après tout, j'en avais tellement envie! Je reste loin, me pince les lèvres. Le garçon rit aux éclats, je me surprends à sourire aussi sans chercher à comprendre ce qui l'amuse autant. L'air de rien, je m'approche. "Qu'est-ce qui te fait rire comme ça?"

Le jeune homme ne tarda pas à me faire part des raisons de son fou rire. Une mauvaise blague. Déjà fourbe on dirait mais je m'en fiche, je me perds dans le bleu de ses yeux, captivée par la moindre expression que son visage trahit. "Je suis pas sûre que ta blague soit au goût de tout le monde..." Je souris doucement en cherchant du regard l'homme qui avait été piégé. Effectivement, ce n'était pas la joie et on pouvait voir de la colère chez l'homme tout comme le garçonnet l'avait décrit. Je finis par hausser les épaules et reprends : "Peut-être que tu peux trouver d'autres blagues à faire... Sans que ça blesse les autres. Tu vois?" Je continue de sourire, amusée par le sadisme et la mesquinerie du jeune garçon. D'accord c'était pas terrible ce qu'il venait de faire mais regardez cette bouille d'ange! Comment lui en vouloir? Son rire me fait fondre, m'émeut sans que je sache vraiment pourquoi.

J'avais trouvé le petit démon des alentours, c'était certain maintenant. Loin de me rebuter, je souris. D'ailleurs, plus je le regardais, plus je souriais. Il ressemblait au Ellison de mes rêves, au Ellison que j'avais imaginé. Le petit garçon est frappé par la douleur, je fronce les sourcils. Il lui arrive quoi là? Et je suis sensé faire quoi? Je reste les bras ballants, c'est pas comme si j'étais sa mère... Pas vrai? "Ça va aller?" finis-je par demander, inquiète. Si j'avais bien compris, c'était un mal de tête. Je grimace, ne sais pas quoi faire de plus. Je me fige quand finalement il se présente. Ellison. J'ai du mal à garder mon sourire, il me semble que je deviens toute rouge. J'ai chaud, je sais plus où me mettre. C'était vraiment une bonne idée de l'aborder comme ça alors? Absolument pas. Je me sentais nulle. Comblée aussi. Il est beau Ellie. Malin. C'est mon fils et tout ce que je retiens pour lui depuis ces dix années sort d'un coup. Je sens les larmes monter, je les chasse rapidement avant qu'elles ne coulent. Hésitante, je finis par me présenter aussi : "Moi c'est Juno.."

Ellie se bagarre avec la douleur, je reste immobile. Comment est qu'une mère est sensée réagir? Le prendre dans ses bras? Lui dire que ça va aller? Je n'ai pas été préparé à tout ça. J'aurais du, c'est sûr. Je ressentais ce que ça faisait d'être mère sans en connaitre les devoirs et les moeurs. Pauvre de moi. Pauvre Ellie surtout. Je suis une incapable. Il parle d'une habitude, je fronce les sourcils. Il est malade? Je grimace, n'ose rien demander. Avais-je seulement le droit de me faire autant de soucis pour lui? Ce n'est pas comme si j'avais été là pour lui un seul jour de sa vie... La culpabilité, les remords. J'en perds mon sourire réjoui. "Je te le promets." répliquai-je simplement en hochant la tête. Ça faisait au moins une promesse que je pouvais tenir. Ellie se confie, m'explique pourquoi ses maux de têtes sont aussi virulents. Il voit l'avenir? Les secrets de tout le monde? Je déglutis. "Et qu'est-ce que tu viens de voir?" J'essaye tant bien que mal de sourire mais je suis vraiment nerveuse pour le coup. Je soupire, change de sujet : "Tu arrives à savoir quelle capacité j'ai par exemple?" Ce n'est pas un test, je suis juste curieuse. J'ai besoin de comprendre cet enfant, de le connaitre.

Ellie a l'air gêné. Je lui souris tendrement, signe qu'il n'y avait rien à craindre de ma part. "Eh bien, si tu veux me parler de tes secrets, je t'écouterais." Il n'a pas peur de moi. Voilà tout. Je reprends une attitude un peu plus normale maintenant que je sais qu'il n'y a aucune chance qu'il ait compris qui je suis vraiment. Il me fait une proposition plutôt étonnante par la suite. Son amie? Amusée, je souris. "Je ne suis pas déjà ton amie?" Je rigole doucement avant d'avoir une soudaine envie de prendre l'enfant dans mes bras. Pour la toute première fois... Mais je ne le fais pas, je ne me l'autorise pas.